A REAL PAIN
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«A Real Pain»: le voyage introspectif de Jesse Eisenberg
Autrefois inséparables, les cousins David (Jesse Eisenberg) et Benji (Kieran Culkin) appartiennent désormais à deux mondes à part. Le premier est un citadin névrosé, asocial et obsédé par sa carrière. Le second, un campagnard au chômage, désabusé, mais charismatique. Pour honorer leur amitié d’antan et rendre hommage à leur grand-mère récemment décédée, ils décident néanmoins de partir ensemble pour un voyage organisé en Pologne, la terre natale de leur aïeule, survivante de l’Holocauste.
Avec son deuxième long métrage, A Real Pain, Jesse Eisenberg signe une tragicomédie introspective, puisant dans l’histoire de sa famille d’origine polonaise. Celui qui s’est fait connaître comme acteur dans The Social Network (David Fincher, 2010) a beaucoup voyagé en Pologne ces dernières années, au point d’avoir entamé des démarches pour devenir citoyen du pays d’Europe de l’Est. Son dernier film commémore ainsi les victimes de la Shoah, tout en explorant à la fois ce qui le lie à ses ancêtres et ce qui l’aliène de leur passé tragique.
Coqueluche du cinéma indépendant américain, fort de ses collaborations avec Noah Baumbach (The Squid and the Whale, 2005) et Kelly Reichardt (Night Moves, 2013), Eisenberg a sans surprise présenté A Real Pain en première mondiale à Sundance, en janvier dernier, où le film a été bien reçu. Le cinéaste a aussi su s’entourer de précieux collaborateurs, dont deux acteurs découverts dans des séries de HBO. On retrouve donc Kieran Culkin, dont le personnage n’est pas sans rappeler Roman Roy, qu’il interprétait dans Succession (2018-2023), mais également Will Sharpe (The White Lotus, 2022), qui incarne ici un guide touristique britannique aussi niais que sympathique.
Part d’ombre
Le film met en lumière tout le talent de dialoguiste d’Eisenberg, qui enchaîne les phrases-choc et crée un duo comique attachant. Les gags reposent essentiellement sur la tension entre les protagonistes : Benji, désinvolte et impulsif, fait le clown au sein du groupe de voyageurs qui les accompagnent (d’où la comparaison avec Roman Roy) — au grand désespoir de David, sérieux, soucieux de son image. Les deux acteurs excellent, d’ailleurs, dévoilant progressivement la part d’ombre de leur personnage, chacun rongé par ses propres angoisses existentielles.
L’humour, parfois inutilement burlesque, finit cependant par empiéter sur les nombreuses scènes qui se veulent plus émouvantes. Le périple sur les traces des horreurs de la Seconde Guerre mondiale, de l’ancien quartier juif de Lublin au camp de concentration de Majdanek, devient la toile de fond de vieux drames familiaux qui refont surface. Or, à cause des fulgurances de Culkin ainsi que du rythme rapide du montage — qui fait certes écho à la cadence absurde du voyage organisé —, des séquences de règlement de compte au ton faussement larmoyant semblent surgir de nulle part.
De judicieux éléments de critique sociale sont tout de même habilement intégrés au scénario, par l’entremise d’une charmante galerie de personnages de soutien formée des touristes qui accompagnent les cousins. Débordants de bienveillance, ils témoignent chacun à leur manière de l’importance de comprendre, puis de confronter le traumatisme intergénérationnel. À travers eux, Jesse Eisenberg prouve que la comédie peut être un bon véhicule pour l’aborder.
Le Devoir