DAHOMEY
Les séances
Réservation : pour acheter votre place à l’avance, cliquez sur l’horaire de la séance
Cinq ans après avoir reçu le Grand prix au festival de Cannes pour Atlantique, Mati Diop revient avec un nouveau long-métrage, lorgnant toujours du coté de l’Afrique, posant un regard qui s’affirme dans un style et une forme étonnante. En 2014, déjà, elle signait Mille Soleils, un conte autour du cinéma de son oncle, Djibrill Diop Mambety, réalisateur de Touki Bouki, un grand film sénégalais tourné en 1972. C’est du coté du Bénin qu’elle décide de tourner son nouveau film, Dahomey, dans une certaine idée du cinéma documentaire. Il y est question de la restitution de 26 œuvres béninoises, dérobées à la fin du XIXème siècle par l’armée française colonisatrice qui les aura gardées pendant près de 130 années.
Les premières images de Dahomey nous montrent le musée du Quai Branly, où l’on manipule avec précaution ces sculptures et créations, pour les empaqueter et les remettre aux autorités du Bénin, pays descendant de l’ancien royaume du Dahomey. Ce voyage est doublé d’une voix-off, Mati Diop désirant donner un timbre précis à ces trésors, et une langue, le fon, qui est l’idiome majoritaire du pays d’origine de ces pièces volées. Ces séquences sont infusées par une ambiance très onirique, rappelant bien des scènes d’Atlantique, conférant une dimension presque fictionnelle au film. En faisant parler les trésors, la cinéaste en fait des personnages à part entière, l’âme perdue d’une nation en quête d’identité dans le long chemin de la décolonisation.
Ce voyage aurait du être l’intégralité du projet, avec l’idée d’un retour impossible tant de temps ont passé et la population s’étant métamorphosée au contact des occidentaux. Pour donner plus d’ampleur à son script, Mati Diop compose un second acte passionnant qui donne tout son intérêt à Dahomey. Elle filme une réunion d’étudiants béninois, discutant de l’impact du retour de ces œuvre sous un angle critique. Si la première partie était une odyssée, la seconde devient politique, analysant avec talent tout ce que cache cette rétrocession. Ces 26 œuvres sont une infime partie des 7000 œuvres arrachées à ce territoire pour garnir les musées français. Si certains pensent que c’est un premier pas, beaucoup argumentent au contraire que cet acte est une insulte pour leur peuple.
Ce débat détient de nombreuses vertus, l’une d’entre elles étant d’exposer l’ultime stade de la colonisation : ces étudiants, à leur grand regret, ne peuvent s’exprimer dans une autre langue que le Français. Une jeune femme exprime son désarroi devant ce constat, elle ne peut s’exprimer en fon, son esprit ayant été modelé tout du long de son éducation par la langue du colonisateur, structurant son intellect comme peut le faire une langue vivante. Cet effet pervers est en soit une perte d’identité majeure qu’il est très difficile à contourner. Comment trouver des solutions pour réhabiliter les langues locales et se réapproprier une part significative de sa culture ?
Le geste de la présidence Macron, cette restitution tardive, interroge également. Les différents protagonistes font fuser toutes sortes d’idées qui soulignent toute que la population béninoise n’est pas dupe, elle est consciente que ce « geste » est une manœuvre qui a pour but de travailler la qualité de l’image de la France en Afrique, sans toute fois aller jusqu’au bout, en rendant la totalité des œuvres volées. C’est le concept même de culture qu’interroge ces jeunes gens, que celle-ci soit matérielle, dans le cas de statues, ou immatérielle s’il est question de danses, de langues ou de coutumes ancestrales.
C’est l’âme et la fierté d’un peuple qui est mise sur le grill dans Dahomey, avec la question brûlante du leg d’une colonisation qui a brisé bien plus que des vies, mais bel et bien l’âme d’un continent. La très belle forme et recherche de Mati Diop met à l’honneur tous ces points, affirmant un style et un cinéma qui ne ressemble à aucun autre.
Le Bleu du Miroir