EN FANFARE
Réservation : pour acheter votre place à l’avance, cliquez sur l’horaire de la séance
“En fanfare”, une comédie sociale tonitruante sur la fraternité
Deux frères que tout oppose sauf la musique se découvrent dans l’urgence d’une greffe. Emmanuel Courcol signe ici son meilleur film, une partition enlevée aux interprètes talentueux.
Certains films installent leur narration en ne délivrant qu’au fur et à mesure des informations cruciales. Un peu à la manière de ces chansons qui ménagent l’émotion avant qu’elle n’éclate au moment du refrain. En fanfare fait l’inverse, méritant bien son titre : dès les dix premières minutes, et avec, déjà, une grande qualité d’écriture tragi-comique, c’est toute une vie qui bascule. Ou plutôt deux. Il serait donc dommage, en un résumé, de dévoiler tout ce que découvre Thibaut, chef d’orchestre de renommée internationale, qui a besoin d’une greffe de moelle. Glissons juste qu’il se retrouve avec un frère, Jimmy, ayant été élevé dans un milieu très différent du sien et jouant du trombone dans une fanfare du nord de la France. Entre les deux hommes, le fossé social est énorme, mais un point commun les lie depuis le berceau : la musique.
Dans Un triomphe, son précédent long métrage, Emmanuel Courcol adaptait avec une belle habileté l’histoire vraie d’un groupe de taulards libérés par la découverte de la pièce de Beckett En attendant Godot. Autour du même sujet, le choc – fertile – des cultures, il réalise, cette fois, son meilleur film, digne de ces comédies anglaises à la fois profondément sociales et émouvantes, tirant les larmes sans les extirper. Est-on censé être plus heureux si on a été élevé à Meudon ou bien dans une ville de mineurs du Nord ? Entre un garçon né avec l’oreille absolue et un autre qui a bossé la musique toute sa vie pour arriver au sommet, quel est le plus chanceux ?
Toute la gamme des sentiments contraires
Toutes ces questions, entre nature et culture, sans oublier, bien sûr, celle du mensonge filial et de la quête de ses origines, tissent la partition du film, où les notes se contredisent et se mêlent, sans jamais qu’une réponse, manichéenne, s’impose. « Toi, à 3 ans, on t’a mis au piano. Moi, à 3 ans, on m’a mis en nourrice » : les dialogues sonnent fort, coups de cymbales durs et drolatiques en même temps. Ainsi, l’humour est toujours présent, en filigrane, comme un autre lien, naturel, entre les deux frères, souvent noir pour résumer en un trait ce qui pourrait être dit en de longs discours.
La musique a cette même propriété de ne jamais hiérarchiser ni les hommes, ni les émotions : d’Aznavour à Verdi, de Miles Davis à Dalida, elle n’est pas utilisée, comme souvent, à la manière d’un simple juke-box, mais soutient la mise en scène, discrètement exaltante. Même ce satané Boléro de Ravel reprend, ici, toute sa force ouvrière, lui qui est né du son des machines d’une usine.
Une comédie aussi parfaitement populaire se devait d’être interprétée par des duettistes hors pair, capables de notes mineures pour un accord majeur. On croirait que Benjamin Lavernhe, fervent, fiévreux, dirige un orchestre depuis toujours, et chacun de ses regards vers son nouveau frère est une leçon, magistrale, de volonté de compréhension de l’autre. Son talent d’un beau classicisme laisse le champ au naturel ravageur de Pierre Lottin. L’agressivité née du manque de confiance, la honte sociale, l’espoir maladroit en une autre vie, pas forcément meilleure : le comédien se balade sur la gamme des sentiments contraires avec maestria. Entre eux, il est bien question de cette fraternité possible envers et contre tout ce qui bouleverse des vies.
Telerama