JE SUIS TOUJOURS LA
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“Je suis toujours là”, bouleversante chronique familiale de Walter Salles
Au Brésil, sous la dictature militaire, le combat contre l’oubli d’Eunice Paiva après l’enlèvement de son mari. Avec son parti pris classiquement sentimental, le film a ému tout un pays.

Commençons par la fin, par le générique et son défilé de photos d’archives, procédé convenu dès lors qu’il s’agit d’une fiction tirée d’une histoire vraie. Une chanson, splendide, enveloppe les clichés radieux de la famille Paiva encore au complet : É preciso dar um jeito, meu amigo, d’Erasmo Carlos. Ce titre rock assez planant, dont le refrain (« nous devons trouver un moyen, mon ami ») exhorte à protester, à témoigner, est sorti en 1971, alors que la dictature militaire (1964-1985) tenait le Brésil sous sa botte. Résister pacifiquement, c’est précisément ce qu’ont fait Rubens Paiva, ingénieur et ex-député travailliste enlevé par le pouvoir en janvier de la même année, puis son épouse, Eunice, qui s’est battue durant vingt-cinq ans pour que l’État reconnaisse, enfin, la mort du « disparu ».
Cette sombre époque, jamais exorcisée par un pays qui en a vu d’autres, Walter Salles, 68 ans, l’a vécue. Mieux : il a connu ses personnages, le couple et ses cinq enfants – quatre filles et un garçon, Marcelo, devenu écrivain – et fréquenté, adolescent, leur foyer de Rio, face à l’océan, ouvert au soleil, aux amis de tous âges et aux chiens sans collier. Plutôt qu’une implacable démonstration à la Costa-Gavras (Z, L’Aveu), le cinéaste, adaptant un livre de Marcelo, emprunte une voie intime, entre chronique familiale et portrait de femme. Le système totalitaire y tient bien sûr un rôle central, en ce qu’il fracture le long métrage, créant un avant et un après tant dans les âmes que dans la mise en scène. Mais sa violence arbitraire s’appréhende à hauteur de clan et se mesure en pertes successives – du père, de la joie, de la maison… Prévoir des mouchoirs.
Primé à la Mostra de Venise
Dans son parti pris classiquement sentimental, l’auteur de Central do Brasil (1998) et Carnets de voyage (2004) ne lésine sur rien, ni sur la musique, ni sur les reconstitutions (décors, photos et films super-huit…), outils éprouvés d’un récit voué à susciter l’empathie. Construit en trois temps (1971, 1996 et 2014), Je suis toujours là, Prix du scénario à la Mostra de Venise, atteint son but d’emblée : en quelques scènes d’une irrésistible fluidité, courant de la plage à la villa, passant d’une partie de baby-foot à une fête dansante, il invite généreusement à partager le quotidien des Paiva. On ne les connaissait pas vingt minutes plus tôt, et voilà qu’on les aime – ce que peut le cinéma, tout de même !
Las, la félicité sent le roussi. Dès l’ouverture, un hélicoptère survolant les flots assombrit la baignade d’Eunice. Quand des flics en civil viendront chercher son mari, ils fermeront portes, fenêtres et rideaux… Le fascisme dans ses œuvres, cagoule sur la tête, cachots obscurs, trou noir d’une caserne engloutissant ses suppliciés. Walter Salles s’arrime au point de vue de l’épouse et mère, elle-même détenue brièvement. Une femme courageuse, incassable, qui rappelle un peu l’héroïne d’Aquarius (Kleber Mendonça Filho, 2016) aux prises avec des promoteurs immobiliers véreux à Recife. Dans la vie, Eunice Paiva, devenue avocate à 48 ans, a bataillé pour les siens mais aussi pour les droits des autochtones contre les « voleurs de terre ». À l’écran, l’extraordinaire Fernanda Torres, récompensée par un Golden Globe de la meilleure actrice tout récemment, lui prête un maintien de reine et une sensibilité à fleur de visage. « Ils veulent une photo triste ? Souriez », enjoint son personnage à ses petits. Au Brésil, où il est sorti en novembre, le film, sans doute pas grand mais beau, a bouleversé trois millions de spectateurs.
Telerama