VERMIGLIO OU LA MARIEE DES MONTAGNES
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La cinéaste Maura Delpero livre un deuxième long-métrage splendide et lent sur le quotidien d’une famille dans les Alpes italiennes à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, avec une attention particulière pour les personnages féminins.
Un très beau film qui s’appelle Vermiglio et il a été affublé d’un sous-titre un peu niais “La mariée des montagnes”, l’affiche n’est pas terrible non plus, on dirait un peu Sissi ou une publicité pour les produits laitiers — qui sont nos amis pour la vie — mais faites-moi confiance, c’est une petite merveille que ce deuxième long-métrage de Maura Delpero, qui raconte quelques mois dans la vie d’une famille vivant dans les Alpes italiennes.
Un film qui pourrait cocher des tas de cases qu’un certain cinéma aujourd’hui barbouille trop facilement : le portrait de jeune fille, la maternité, les rapports de couple, le devenir de la figure du patriarche, d’autant plus quand il s’agit de films historiques, mais il les utilise avec une forme de délicatesse, qui tient paradoxalement à quelque chose d’assez brut.
L’hiver 1944 dans les montagnes italiennes
Nous sommes donc en 1944 dans la montagne et c’est l’hiver. Dans les draps blancs d’une petite maison en pierre, on se réveille. Un bébé pleure au berceau, des petites mains, beaucoup de petites mains se tendent pour le bol de lait matinal qui vient d’être tiré. Puis c’est l’heure de l’école qu’administre le père de famille qui tient devant lui, très sages, une vingtaine d’enfants et d’adolescents, dont certains sont les siens.
Les aînés travaillent dans les champs : Dino, un grand que le père ne tient guère en estime ; Lucia, qui tombe amoureuse d’un soldat sicilien qui a déserté, et dont la présence au village crée méfiance et curiosité, mais qui bientôt la demande en mariage ; Ada, la cadette, se débat avec ses désirs d’adolescente, fascinée notamment par la “folle” du village, en fait une jeune marginale aux cheveux courts qui boit et fume comme un homme ; Flavia, la blonde et la plus jeune, concentre tous les espoirs de son intellectuel de père — c’est elle qu’il a prévu d’envoyer à l’internat.
En dessous, toute une tripotée de petits garçons regardent vivre les grands, comprennent parfois, fantasment souvent — il faut dire que ce moment est compliqué pour tout le monde. Certains hommes ne sont pas encore rentrés du front, d’autres rentrent blessés ou comme morts à l’intérieur. Vermiglio, du nom de ce petit village où tout le monde se connaît, où rituels religieux et paysans rythment le quotidien, est au centre du film. On n’en sortira d’ailleurs qu’une seule fois.
Désir, honte et pénitence
La force du film réside dans ce que ce quotidien charrie à la fois de grandes et de petites choses, à l’image de ce cadre montagneux filmé avec splendeur. Une campagne, parfois enneigée, parfois fleurie, qui est à la fois écrin et écrasement, surtout pour les personnages féminins, et notamment ces trois sœurs qui sont au cœur du film. Trois héroïnes dont les trajectoires jouent avec des destins tout tracés — par l’autorité paternelle, par la religion, par tradition, les embrassent parfois, s’en écartent souvent — et c’est sans doute là que le film trouve sa justesse, et évite cette espèce de pédagogisme féministe qui gangrène les films à sujet.
Ainsi, au mitan du film, trois images se succèdent. Trois plans dans un effet de parallèle : celle de la grande sœur Lucia toute à son bonheur amoureux embrassant son fiancé au seuil d’une grange, celle de Flavia la petite cachée sous le bureau de son père et qui l’observe fumer en écoutant Chopin sur un gramophone, et celle d’Ada, étalée de tout son long face contre terre dans le poulailler, la pénitence qu’elle a décidé de s’imposer à elle-même à chaque fois qu’elle faute, en l’occurrence qu’elle se donne du plaisir derrière la porte d’un placard.
Ces trois images ensuite sont abattues comme des cartes : le désir, la honte, la chair, la douleur circulent entre toutes ces femmes, tout ça se partage, s’équilibre parfois, se détend, se retend, dans un portrait féminin collectif. Paradoxalement, c’est quand il donne dans le plus cru, dans le silence, dans l’archaïque, que Vermiglio trouve l’émotion et la vérité. Dommage qu’il cède parfois un peu au lyrisme, à des excès de langage, bref une forme de romantisme qui n’était pas nécessaire : l’humanité des personnages éclate très bien sans lui.
France Culture : Le regard culturel