VOYAGE AVEC MON PERE
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« Auschwitz-Birkenau n’est pas un musée, c’est un camp de la mort », martèlent quotidiennement les guides de l’ancien camp d’extermination, qui accueille 1,3 million de personnes chaque année, dans une atmosphère pas toujours propice au recueillement et au travail de mémoire. Est-ce pour leur donner de la voix que Julia von Heinz place le propos à de nombreuses reprises dans la bouche de ses personnages ? Celle qui dans Et demain, le monde entier (2022) s’inquiétait du retour du nationalisme d’extrême droite dans son pays natal – l’Allemagne – explore cette fois les plaies causées par ces mêmes idées, il y a plus d’un demi-siècle. Une journaliste new-yorkaise propose à son père, rescapé des camps, un voyage en Pologne, pour creuser une histoire familiale que lui n’a aucune envie de déterrer. Au fil de ce road-trip « fille-père » – Lena Dunham, créatrice et héroïne de la série Girls, qu’on ne connaissait pas dans ce registre, et Stephen Fry, qui fit lui-même le voyage décrit dans le film à la recherche des racines de sa famille juive –, le silence laisse place aux cris, la colère s’empare de la tristesse. Chacun avance le cœur serré dans les décombres du lieu chargé d’histoire, devenu la première destination des tours-opérateurs de la région. Au-delà des différends familiaux, c’est d’ailleurs de cette friction entre devoir de mémoire et tourisme de masse que se nourrit la cinéaste. Ici, chaque mot pèse une tonne. Le moindre faux pas sonne comme une trahison. On se tient toujours à la frontière de l’indécent.
Bijou de famille
Comme dans tout road-movie qui se respecte, on se tient sur la banquette arrière, en témoin discret mais privilégié. À travers la vitre, le ciel grisâtre typique des pays d’Europe de l’Est assombrit encore un peu plus le paysage. Mais cette tension forcément sourde laisse également place à des dialogues qui regardent du côté de la comédie dramatique. À mesure qu’on avale les kilomètres, le film procède à de légers basculements. Soudain, le paternel ressemble à un vieux garde du corps maladroit, traîné dans cette affaire plus par amour filial que par réelle envie. Sa fille apparaît quant à elle comme engluée dans ses problèmes de jeune new-yorkaise et ne se voit opposer que des silences à la sarabande de questions qui l’assaillent. Des pauses sont décidées, pas toujours à l’unanimité. Et leurs liens tremblent, mais tiennent bon. Difficile de ne pas s’attacher au duo, qui transpire l’authenticité. « Le fait de me voir proposer un rôle avec des enjeux, y compris ma judéité – qui constitue une grande partie de mon identité et de ma compréhension du monde, mais qui est rarement considérée comme un véritable aspect de l’histoire d’une actrice principale – a été un véritable cadeau », abonde Lena Dunham.
Parce qu’il s’empare de manière singulière d’un sujet rebattu au cinéma, parce qu’il nous parle de transmission et de non-dits avec beaucoup d’émotion ; et parce qu’il ressemble, au bout du compte, à un vrai geste mémoriel, il faut se lancer dans ce Voyage avec mon père.
So Film