THE SHAMELESS

De Konstantin Bojanov
Réalisation : Konstantin Bojanov
Avec : Mita Vashisht, Auroshikha Dey, Tanmay Dhanania

Durée : 1h 56min
Genre : Drame, Policier, Thriller
Pays : IN

Avertissement : Interdit -12

Synopsis
Dans la nuit, Nadira fuit Dehli après avoir poignardé un policier. Elle se cache dans une communauté de prostituées du nord de l’Inde où elle rencontre Devika, une jeune fille que sa mère veut marier de forcer. Ensemble, au péril de leur vie, elles décident de se rebeller contre l’institution religieuses et les traditions archaïques pour conquérir leur liberté.
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Un film signé Konstantin Bojanov, qui raconte la fuite de deux femmes dans l’Inde du Nord, une romance noire et tragique, dont un des personnages surtout marque profondément les esprits.

The Shameless il s’appelle ce film : celui qui n’a pas honte, celles qui n’ont pas honte en l’occurrence puisque les personnages principaux sont deux jeunes femmes confrontées à la violence de la société indienne, une violence qu’elles subissent de plein fouet et qui les pousse à la marge, une violence jamais vraiment explicitement représentée mais qui tient à des dialogues abrupts et une obscurité soutenue : un film d’autant plus particulier, que dans notre temps où l’idée même de s’approprier dans la fiction les expériences de ceux qui ne nous ressemblent pas pose question, c’est un réalisateur bulgare, Konstantin Bojanov, qui s’empare de ce sujet. Et de cette appropriation, je prends le terme au sens littéral du terme, sans jugement moral, naît un film très étrange, sans doute un peu bancal, mais qui marque les esprits.

Le film ouvre avec un plan rapproché sur deux mains qui s’activent dans la pénombre, elles nettoient la lame d’un couteau. Une femme au regard préoccupé mais déterminé quitte une chambre où git sur le lit un homme nu, dont le corps est transpercé de plusieurs blessures sanguinolentes. La femme fuit, monte dans un taxi puis un camion, et se retrouve dans une petite ville où elle achète des cigarettes à un épicier qui s’étonne de sa tenue : C’est que celle qui se fait appeler Renuka porte des jeans, son nez est percé, elle fume dans la rue : elle détonne dans cette province où bien vite elle va se cacher dans un groupe de prostituées. En face de la maison de passes, vit une jeune fille timide Devika, qui l’observe. Elle rêve de devenir rappeuse, se ceint la poitrine pour ne pas attirer les hommes, et se fait sans cesse houspiller par sa mère, qui lui reproche son inutilité. Aux côtés de Renuka, elle va connaître le désir, l’amour, la liberté peut-être, mais c’est un jeu dangereux : la tragédie et l’horreur ne sont pas loin.

Hybride

The Shameless avait été montré au dernier festival de Cannes au printemps dernier, en même temps qu’un film indien signé Payal Kapadia, et qui racontait aussi la trajectoire croisée de trois femmes dans l’Inde d’aujourd’hui, trois femmes dont la liberté était une sorte d’aspiration autant que de fatalité : All we imagine as light, comme son titre anglais l’indiquait, était un film lumineux, malgré la gravité du sujet, la représentation des violences de classe et de genre qui étaient au cœur de l’histoire. The Shameless en est en quelque sorte le revers sombre et désespéré, qui puise dans les codes du film noir, mais dans le fond pour montrer la même chose: des personnages féminins dont les luttes sont moitié choisies moitié subies, et dont les traumas sont à la fois les freins et les moteurs de leurs trajectoires.

Pour écrire ce film Konstantin Bojanov a enquêté sur une communauté particulière du Nord de l’Inde, les devadasi, dont la tradition, pourtant totalement prohibée aujourd’hui, veut que les jeunes filles dès leur puberté soient sacrifiées en l’honneur d’une déesse, souvent par leurs propres familles, et livrées en pâture à des hommes auxquels on vend leur première nuit. De cette structure archaïque qui n’est pas la sienne, lui qui n’est ni une femme ni une Indienne, Bojanov fait un ressort de film noir qui n’écrase jamais ses personnages, alors même qu’il use pour cela de références occidentales très repérables : le cinéma américain des années 90, Michael Mann notamment. Comme ce mélange est tout à fait assumé, et qu’il est bien équilibré, The Shamless convainc plutôt, et parvient à élaborer notamment un personnage assez ahurissant – cette femme lesbienne musulmane, truande au sang-froid, interprétée par une actrice, Anasuya Sengupta, qui d’ailleurs avait reçu à Cannes un prix d’interprétation – un personnage qui nous reste en tête.

France Culture -Le regard culturel-

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-regard-culturel/le-regard-culturel-chronique-du-mercredi-14-mai-2025-7793442