OUI
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C‘est au lendemain du 7 octobre 2023 que Nadav Lapid s’était confié à nous, exprimant son désespoir avec sa lucidité fulgurante. « On a rendu Gaza monstrueux, pas étonnant que des monstres aient poussé là-bas », disait-il. Un an et demi après, le revoilà avec un film sous le bras, plein de bruit et de fougue délirante. L’ouverture à toute allure donne le tournis. Dans une fête décadente de millionnaires, Y., pianiste de jazz précaire, et sa compagne danseuse, Jasmine, jouent les clowns de service, tels des esclaves de l’entertainment. Lui plonge sa tête dans les récipients d’alcool, se lance dans une danse de Saint-Guy, mime des actes sexuels, vient littéralement manger dans la main des invités, à quatre pattes, comme un chien. L’obscénité de la soumission et de la subordination, ce sera le thème moteur.
Entre idiot et bouffon, Y. accepte une commande qui est tout sauf neutre : la composition d’un nouvel hymne national israélien sur des paroles de vengeance, en réaction à l’offensive du 7 Octobre. Indifférent à la chose politique, Y. n’a aucun scrupule et il a besoin d’argent pour vivre. Ce projet musical l’amène à faire toutes sortes de rencontres, au cours de tribulations baroques. Sur son chemin sinueux, il croise un chef d’état-major, un oligarque russe, son ancienne compagne…
Séquence désopilante
Yes est un collage free, carnavalesque et dissonant. Une farce grinçante, qui secoue, grise (oh, ce joli titre de Margo Guryan ! oh, cette envolée de Theolonious Monk !) et gêne. Peu de choses sont faites pour caresser le spectateur dans le sens du poil. Le réalisateur de Synonymes a toujours procédé ainsi, lui qui ne cesse d’interroger son rapport conflictuel à Israël, dans un mélange de masochisme et de dédain assumé. Ce qui est nouveau ici, c’est l’absence de contestation frontale (sauf du côté de Jasmine, qui n’hésite pas à cogner). Y. dit « oui » à tout. Un oui baveux – la salive, la langue, la bouche sont ici des motifs obsessionnels. Le jazzman vend son âme et son corps – il se prostitue à l’occasion avec Yasmine, ce qui vaut une séquence désopilante où l’une de leurs clientes richissimes exige d’eux d’être léchée dans l’oreille. Lécher les bottes, l’antihéros sait faire aussi. Et le cinéaste s’emploie à filmer la métaphore au pied de la lettre. Sans épargner personne, lui compris : oui, l’artiste fait la pute, c’est loin d’être un saint.
Le musicien histrion sert de révélateur des turpides de son pays. De ses compromissions, de son nationalisme dangereux, propice à la peur et la lâcheté. Dans sa seconde moitié, le film laisse plus de place à la conversation, à l’introspection et au voyage. On gravit un mont appelé « la colline de l’amour » depuis lequel on voit Gaza qui brûle. On traverse le désert. Dans une voiture, une femme au volant retrace la journée du 7 Octobre, sous la forme d’un soliloque, lancinante prière sur une route de chagrin. Une séquence forte, parmi d’autres dans ce film funèbre et festif. Inégal, impur, mais à coup sûr le plus offensivement dérangeant de cette édition cannoise 2025.
Telerama