L ETRANGER
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Adapter L’Étranger d’Albert Camus relevait presque du pari impossible. Après Visconti en 1967, François Ozon s’attaque à ce monument de la littérature avec l’ambition d’en proposer une première version française en langue originale. Présenté à la Mostra de Venise 2025, son film assume la tension entre fidélité et trahison, et parvient à trouver un espace singulier, celui d’une transposition sobre, esthétiquement radicale et politiquement résonnante.
Visuellement, le film séduit par son élégance : Ozon opte pour un noir et blanc raffiné, qui confère aux corps une aura sensuelle. Le cinéaste joue de l’esthétisme comme d’un filtre entre le spectateur et l’absurde, et glisse même une touche homo-érotique inattendue dans certains regards et frôlements, qui accentue l’ambiguïté de Meursault (Benjamin Voisin). Plans fixes, économie de dialogues, silences prolongés, la mise en scène resserre l’univers autour de ce spectre apathique, étranger à lui-même autant qu’au monde.

Là où Camus laissait ses personnages féminins en retrait, Ozon leur octroie une densité nouvelle. Marie, incarnée par Rebecca Marder, n’est plus une simple silhouette amoureuse, elle devient une figure vibrante, charnelle, qui contrebalance l’opacité de Meursault. De même, Djemila (Hajar Bouzaouit) gagne en présence, inscrivant le récit dans un tissu social et affectif élargi. Mais c’est surtout la dimension politique qui offre à cette adaptation sa force contemporaine. Ozon ne gomme pas l’arrière-plan colonial, il le rend visible : l’« Arabe », anonyme et silencieux dans le texte, devient l’incarnation d’une violence coloniale systémique. L’acte de Meursault, au-delà de l’absurde, résonne alors comme le symptôme d’un ordre inégalitaire, rappelant que le roman de 1942 est aussi traversé par l’ombre de l’Algérie colonisée.
En épurant sa mise en scène et en réévaluant les figures secondaires, Ozon réussit à revitaliser L’Étranger sans le trahir. Il en propose une lecture actuelle, élégante et troublante, où l’aliénation existentielle rencontre l’injustice historique.
Le Bleu du Miroir

