RESURRECTION

De BI gan
Réalisation : BI gan
Avec : Jackson Yee, Shu Qi, Mark Chao

Durée : 2h 36min
Genre : Drame, Policier, Science fiction
Pays : CN



Synopsis
Un jeune homme rêveur se réincarne dans cinq époques. Tandis que le XXe siècle défile, une femme suit sa trace…

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« Résurrection » : la merveille venue de Chine qui réenchante le cinéma

Prix spécial du jury au dernier Festival de Cannes, la rêverie philosophique de Bi Gan, jeune réalisateur prodige, sort en France alors que le film est en tête du box-office dans son pays.

Le film est construit en cinq chapitres, comme les cinq sens, se déroulant dans cinq univers différents, d’un temple bouddhiste à un thriller des années 1930.

Imaginez un monde glacial et solitaire, où il est interdit de rêver et où les machines ont gagné. Dans ce monde-là, celui du nouveau film de Bi Gan, l’extraordinaire Résurrection, quelques âmes fortes – les « rêvoleurs » – résistent en s’échappant dans le royaume des songes… où la police du monde réel – les « autres »  les pourchasse inlassablement.Pendant deux heures quarante d’une beauté à couper le souffle, on suit un rêvoleur – joué par Jackson Yee (acteur chinois superstar issu d’un boys band) – et la femme qui cherche à l’arrêter (Shu Qi, grande star elle aussi, notamment dans les films de Hou Hsiao-hsien).

Ce surprenant voyage en cinq chapitres nous promène d’une fumerie d’opium au début du XXe siècle (façon film muet) à une boîte de nuit survoltée lors du passage à l’an 2000 (long plan-séquence étourdissant), à travers différents univers, un film noir avec feutres mous et femmes fatales, une fable dans un temple bouddhiste, un film de vampire et une séquence de science-fiction…

Recettes et nombre d’entrées records

Le démiurge de cette œuvre colossale, prix spécial du jury au dernier Festival de Cannes, qui condense plus d’un siècle d’histoire de la Chine et du cinéma, s’appelle Bi Gan. À 36 ans, ce natif de la province du Guizhou (dans le sud-ouest du pays) en est déjà à son quatrième long-métrage. Sorti le 22 novembre en Chine, Résurrection a aussitôt pris la tête du box-office et engrangé 15 millions d’euros de recettes en deux jours.

« Il faut dire que le public a un lien très fort avec Jackson Yee, éclaire le cinéaste, les gens sont prêts à le suivre là où il veut les amener, même dans un film très artistique… Et puis peut-être aussi que cette forme est ce qui plaît. Je constate qu’à l’issue des projections il y a un besoin de discuter, de revenir sur toute l’histoire du cinéma et même l’Histoire en général, un dialogue très passionné et intense se noue. Le film est un peu comme un bateau lancé sur une mer parfois tempétueuse, parfois calme, et le public ressent tous ces ballottements. »

Tout cela grâce à l’impressionnante virtuosité technique de l’enfant prodige du cinéma chinois, qui manie aussi bien l’image 35 mm que numérique, réussit des hommages éblouissants à La Dame de Shanghai, d’Orson Welles, et à Nosferatu de Friedrich W. Murnau, se sort d’un plan-séquence de quarante minutes, recourt au format rare 4/3 à une cadence de 16 images par minute…

 

<figcaption>Shu Qi dans le rôle de « La Grande Autre ».</figcaption>
©  Prod

Le générique de fin, interminable, dit bien l’ampleur du travail réalisé. Est-ce une déclaration d’intention ? Tout commence dans une fumerie d’opium. Façon de dire que « la réalité et le rêve ont une frontière extrêmement ténue » et que nous, drogués de l’ère numérique, « perdons notre lien charnel avec l’extérieur », explique Bi Gan.

Ce monde où il est interdit de rêver reflète assurément le nôtre car, cernés par la technologie, les médias sociaux ou l’intelligence artificielle, « nous avons perdu notre identité, qui est tellement liée à la capacité de ressentir les choses avec notre corps, avec nos cinq sens. Face à cela, aller dans une salle de cinéma ou une librairie est un acte qui peut régénérer, comme une salle de remise en forme spirituelle, un espace où il y a une circulation de la pensée. »

Contrôle étatique

Pour des raisons évidentes, le cinéaste ne s’exprime pas directement sur la dimension politique du film, et pourtant elle est d’une force peu commune. Car cette liberté de rêver dont les personnages sont privés est aussi une liberté de penser. Comme le citoyen chinois soumis à un contrôle étatique mesuré en  crédit social  (notamment par le biais de son téléphone), le rêvoleur est au fond sous surveillance permanente.

S’il réussit à passer d’un monde à l’autre, c’est toujours clandestinement… Et sa promenade dans le temps donne l’occasion de voir la Chine basculer dans un consumérisme enfiévré, bientôt incarné par une séduisante vampire. « Pour moi, l’apparition de cette vampire dans le film est aussi liée à l’émergence d’Internet, explique Bi Gan. C’est le moment où on s’est déconnectés de nous-mêmes, où on s’est mis à vivre des histoires virtuelles, sous pseudonymes… Quelque chose qui nous prend toute notre vitalité. »

Le film pourrait du reste se dérouler tout entier dans la matrice d’une intelligence artificielle qui réinventerait en permanence des fictions pour articuler le rapport au monde du rêvoleur et de l’« autre ». « Mais l’imagination humaine reste la plus forte, oppose Bi Gan, toujours grâce à l’ancrage sensoriel. C’est pourquoi j’ai associé chaque histoire à un des sens : l’ouïe, la vue, l’odorat, le toucher… L’intelligence artificielle ne peut pas ancrer de fiction dans les sens, cela reste notre privilège à nous et je pense que l’art peut nous permettre de décupler nos facultés à ressentir, c’est en tout cas mon ambition. »

Un des chapitres débute dans un temple enneigé où apparaît un esprit malin… Résurrection emprunte au bouddhisme sa vision fluide du passage d’un monde à l’autre. « Dans le film, la mort s’efface pour laisser la place à une nouvelle incarnation, cela vient à l’évidence du bouddhisme, reconnaît le cinéaste. Pourtant, mon souhait le plus cher serait que nous puissions vivre les choses dans notre propre corps. Par exemple, revenir aux moments les plus beaux, les plus forts de notre vie mais avec nos sens dans notre individualité. En cela, mon aspiration personnelle est loin de la vision bouddhiste des choses. Et ce que j’ai trouvé le plus proche de cette expérience, c’est le cinéma. » Résurrection de l’esprit de résistance et du corps, la résurrection appelée de ses vœux par Bi Gan est aussi celle d’un art qu’on donne pour mort depuis les premières années de son existence.C’est à un voyage dans le temps et l’espace qu’invite le prodigieux cinéaste chinois Bi Gan, avec cinq histoires enchâssées. On suit le « rêvoleur », être courageux qui résiste à une société totalitaire où il est interdit de rêver en s’échappant dans les songes, passant d’une fumerie d’opium à une histoire d’arnaque dans les années 1970 ou encore à un film de vampire au tournant du XXIe siècle. D’une beauté sidérante, le film impose sa propre logique, entre hommage au 7 e art, rêverie boud-dhiste autour de la réincarnation et critique politique acérée.

Le Point