ELLE ENTEND PAS LA MOTO
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« Elle entend pas la moto », le film qui va vous faire changer de regard sur la surdité.
Dans ce documentaire lumineux, on suit Manon, jeune femme sourde, kiné et mère de famille, filmée depuis vingt-cinq ans par la réalisatrice Dominique Fischbach. Entre confidences intimes, souvenirs d’enfance parfois douloureux et paysages de montagne à couper le souffle, le film rend sensible – et concret – ce que signifie être sourde dans un monde d’entendants.
« Elle entend pas la moto »… Une phrase jetée comme une évidence d’enfant, qui dit déjà tout du décalage entre Manon, l’héroïne de ce documentaire et le vacarme du monde. On découvre une femme hors du commun ainsi qu’une histoire d’amitié qui dure entre elle et la réalisatrice, Dominique Fischbach. Touchant au cœur les spectateurs, le film a été couronné de plusieurs prix avant même sa sortie : le Prix du Public, section films documentaires, lors du Festival 2 Cinéma de Valenciennes, du label Coup de Cœur Afcae 15-25 ans et de la Mention Spéciale du Jury aux Rencontres du cinéma francophone en Beaujolais.
Une rencontre qui devient un film
La genèse du film tient d’abord à cette amitié. Manon a 11 ans quand Dominique Fischbach, la réalisatrice débarque pour la première fois chez ses parents, caméra à la main afin de tourner un court-métrage destiné à la série documentaire Strip-Tease. « La rencontre s’est faite à la maison, avec mes parents et leurs trois enfants, dont deux sourds, raconte Manon. Le tournage s’est très bien passé. Dominique était – et elle l’est toujours – très dynamique, vivante et expressive. Mes parents ont vu ça, et on a gardé le contact au fil des années. » Et puis, un jour, l’idée d’un long-métrage s’impose. « Notre famille est tellement riche, tellement inspirante, sourit Manon, qu’on s’est dit qu’il y avait quelque chose à faire avec ces images. ». Et la force du film naît de cette confiance accumulée. On sent immédiatement que la caméra n’est pas une intrusion mais une présence familière. Plus qu’« un sujet sur la surdité », Dominique Fischbach fait le portrait d’une femme qu’elle a vu grandir et se rebeller avant de s’épanouir.
Un film qui rend concrète la surdité
L’autre force majeure du film est d’incarner physiquement ce que veut dire être sourde dans un monde d’entendants. Dominique filme Manon quand elle enlève son appareil : le son se coupe, le spectateur bascule littéralement dans le monde du silence. Appareillée, Manon lit sur les lèvres, signe, mais oralise aussi. « Je peux capter des sons, mais les distinguer et les comprendre est un travail permanent car les appareils amplifient tout et ne font pas le tri entre les sons… Il faut que la personne s’exprime clairement, qu’elle ne tourne pas la tête, qu’elle ne parle pas en marchant. J’ai besoin de la lecture labiale tout le temps. Parfois, dans une pièce, je n’entends rien… sauf le tic-tac de l’horloge. » Ce décalage devient particulièrement concret dans les scènes de groupe. Au chalet, entourée d’amis mais perdue dans un brouillard sonore lié aux éclats de voix, Manon semble peu à peu se retirer, lâcher prise et renoncer à participer aux conversations. « C’est fatigant de faire autant d’efforts pour suivre, confie-t-elle. Aujourd’hui, j’accepte parfois de m’isoler plutôt que de m’épuiser pour des conversations qui, au fond, ne valent pas cette fatigue. »
Le film nous permet d’éprouver cette fatigue cognitive qu’on ne voit jamais dans les discours abstraits sur le handicap. Ici, elle se lit sur un visage, un regard qui décroche, un corps qui se lève et se plante devant la montagne.
Une société insuffisamment inclusive
Manon est kinésithérapeute et dans le film, elle évoque son parcours semé d’embûches. On comprend la fierté du chemin parcouru, mais aussi le prix payé. « En école de kiné, je passais la journée à lire sur les lèvres sans pouvoir prendre de notes. Le soir, je récupérais les photocopies des camarades volontaires et je rattrapais tout mon retard. J’ai failli tout arrêter. » En cause, les réactions des autres : la jalousie devant les aménagements, les sous-entendus sur le fait qu’elle « est aidée », les remarques maladroites. Manon en parle sans rancœur, mais sans édulcorer. Si elle a réussi, c’est grâce à son acharnement, au soutien de ses parents, d’une direction d’école qui a joué le jeu… et à une capacité peu commune à se relever. A la question « est-ce que ça a changé ? », la réponse est nuancée. « Depuis que le film existe, je reçois beaucoup de messages de parents qui me laissent penser que ça n’a pas tant changé que ça. Comme cette maman d’une fille sourde à Toulouse, complètement perdue parce que sa fille qui veut faire des études de droit n’est plus du tout accompagnée… » Le documentaire devient ainsi plus qu’un portrait : un miroir tendu à toutes ces familles qui se débattent, souvent seules, avec des décisions éducatives lourdes. Sur la question de l’oralisation et de la langue des signes, le film montre aussi comment les deux ont pu être opposées. « C’est un vaste sujet, tempère Manon qui a appris avec bonheur à signer à son fils entendant dès le berceau… Les parents devraient être informés de toutes les possibilités, et choisir avec l’enfant en fonction de ses besoins et de ses envies. Aujourd’hui, ce sont souvent eux qui doivent tout aller chercher, au prix d’une énergie folle. Les familles aussi ont besoin d’être soutenues. »
Mais aussi un grand film de montagne… et d’intimité
« Elle entend pas la moto » est un film sur la façon dont on se construit quand on ne rentre pas dans les cases prévus par une société encore très normative. Manon ne se résume pas à sa surdité : elle court, pédale, pilote un avion (elle a été la première femme sourde à obtenir son brevet de pilote), élève ses enfants. Les images de montagne – le chalet de ses parents, la neige, l’aérodrome – ne sont pas un simple décor : elles accompagnent son travail intérieur, comme un espace où elle peut choisir son propre rythme, son propre silence. La beauté des paysages alpins contraste avec le brouhaha social qu’elle ne peut – ou ne veut pas toujours – suivre, et rend palpable ce besoin de retrait assumé. Inclusif jusqu’au bout, le film existe aussi en version audiodécrite pour les personnes aveugles ou malvoyantes : une manière très concrète de rappeler que ces vies, ces voix et ces paysages doivent être accessibles à tous, y compris à celles et ceux qu’on oublie trop souvent des récits collectifs.
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