LA PETITE DERNIERE
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“La Petite Dernière”, d’Hafsia Herzi : le bouleversant récit de l’émancipation d’une ado lesbienne et musulmane
Du roman de Fatima Daas, Hafsia Herzi, inspirée, compose un film d’apprentissage tendre et tourbillonnant, et révèle une jeune actrice remarquable, Nadia Melliti, Prix d’interprétation à Cannes 2025.

Dire sans discourir, laisser vivre les scènes, leur donner à la fois du sens et du cœur : Hafsia Herzi réussit cette alchimie dans son troisième film derrière la caméra, La Petite Dernière, qui l’a propulsée en compétition à Cannes au printemps. De fait, la réalisatrice de 38 ans, à qui ses talents d’actrice ont aussi valu un César en février pour son rôle de matonne dans Borgo (Stéphane Demoustier, 2023), franchit un cap avec cette adaptation du roman de Fatima Daas paru il y a cinq ans, autofiction puissante sur la difficulté de devenir soi-même, en l’occurrence une Française d’origine maghrébine, banlieusarde, lesbienne, musulmane pratiquante, chérissant Dieu, sa famille et la littérature.
Si l’histoire de Fatima est née sous une autre plume, Hafsia Herzi se l’approprie pleinement, et la cohérence avec ses longs métrages précédents, Tu mérites un amour (2019) et Bonne Mère (2021), saute aux yeux : son héroïne mérite de s’aimer et sa mère irradie la bonté, elle qui sait, probablement, le secret de l’adolescente sans qu’il soit besoin — ou possible — d’en parler. Le père, lui, demeure en retrait, corps fatigué, posé au salon, devant la télé, dans un royaume chaleureux, féminin, dont l’épicentre serait la cuisine. Odeurs de madeleines et tartines de Nutella à l’heure des devoirs, tchatche vanneuse des sœurs aînées, on y est, et on y est bien, par la grâce d’une mise en scène de tendre proximité. Quand le livre se distinguait par sa temporalité éclatée, Hafsia Herzi zoome sur une période charnière, saisissant sa protagoniste à la fin du lycée, au-delà du périphérique (Fatima Daas a grandi à Clichy-sous-Bois), puis étudiante en philo dans une fac parisienne.
Le goût de la sensualité
Cette distance, tant en kilomètres qu’en capital social et culturel, se voit, mieux que décrite, incarnée donc, lors des scènes de fête. Dans les appartements bourgeois ou les boîtes LGBT+, les corps exultent en liberté, embrassez qui vous voudrez. « À un moment, faut vivre, non ? », balance une fille plus affranchie à Fatima, pas tout à fait guérie de son homophobie intériorisée. « Je pourrais être un super professeur », proposait déjà une autre, un peu plus tôt, avant d’étaler sa science du cunnilingus en des termes crus et précis, illustrant la fameuse citation de Marguerite Duras selon laquelle les femmes jouiraient d’abord par l’oreille. Surprise : l’une des séquences les plus érotiques (et drôles) de l’année montre donc deux lesbiennes qui discutent dans une voiture.
On est loin des épuisantes acrobaties de La Vie d’Adèle, la Palme d’or 2013 signée Abdellatif Kechiche, même si Hafsia Herzi a le goût de la sensualité et partage en outre avec le cinéaste, qui l’a révélée en 2007 dans La Graine et le Mulet, celui des scènes quotidiennes et des acteurs « naturels ». De la maman (Amina Ben Mohamed) au spécialiste de l’asthme (un vrai pneumologue marseillais), en passant par l’imam intraitable sur les interdits religieux, les amateurs sont d’une remarquable justesse — les pros aussi, à commencer par Ji-min Park (découverte dans Retour à Séoul), en premier grand amour dépressif. Mais celle qui renverse tout sur son passage, ouragan débutant, présence butée et magnétique, s’appelle bien Nadia Melliti, sacrée sur la Croisette par un Prix d’interprétation. Qu’elle prie — et ce n’est pas rien, par les mauvais temps qui courent, d’ouvrir un film sur ce « Bismillah », « au nom de Dieu » —, qu’elle drague, qu’elle rage, qu’elle pleure, qu’elle joue au foot ou danse en hurlant « 1, 2, 3, vive les lesbiennes ! », elle donne un visage inédit, et inoubliable, à cette émouvante éducation sentimentale.
Telerama

