LA PRISONNIERE DE BORDEAUX

De MAZUY Patricia
Réalisation : MAZUY Patricia
Avec : Hafsia Herzi, Isabelle Huppert, Noor Elsari

Durée : 1h 48min
Genre : Drame
Pays : FR



Synopsis
Alma, seule dans sa grande maison en ville, et Mina, jeune mère dans une lointaine banlieue, ont organisé leur vie autour de l’absence de leurs deux maris détenus au même endroit… A l’occasion d’un parloir, les deux femmes se rencontrent et s’engagent dans une amitié aussi improbable que tumultueuse…

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Conversation avec Patricia Mazuy, réalisatrice – Arte Tv

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La Prisonnière de Bordeaux : le titre est aussi factuel en apparence que déroutant au regard de l’objet qu’il désigne. Dans le nouveau film de Patricia Mazuy, ce sont les hommes et non les femmes qui sont en prison. Deux d’entre elles se rencontrent en leur rendant visite. Laquelle est la plus prisonnière des deux ? Celle qui vit désormais seule dans sa grande maison bourgeoise, n’osant plus sortir (Alma / Isabelle Huppert) ? Ou celle dont cette dernière s’arroge vigoureusement la compagnie (Mina / Hafsia Herzi) ? De la même façon, le film parvient à combiner deux approches apparemment incompatibles : l’une frontale, l’autre oblique. Frontalement, les deux femmes n’ont rien en commun, si ce n’est peut-être leur capacité à mentir. Indirectement, si : leurs destins respectifs sont déterminés par l’identité de leurs hommes, par leurs bonnes et mauvaises décisions, et leur marge de manœuvre, dans le film, ne se situe qu’à l’intérieur de ce cadre. En réalité, la relation se joue à quatre, les absents restant omniprésents dans l’équation : Alma + Christopher, neurochirurgien volage, auteur d’un homicide involontaire sous l’emprise de l’alcool et d’un délit de fuite ; Mina + Nasser, emprisonné pour un braquage de bijouterie. Dès le départ, il est sensible que le gouffre social pèse, pèsera, qu’il ne pourra pas ne pas cliver. Entre Alma et Mina, plus d’une injustice fait barrage, et rend la possibilité d’une amitié incertaine. Mais Mazuy réintroduit toujours l’oblique, par une écriture et des dialogues d’une rare inventivité. Elle éloigne toujours le récit du sentiment de foncer dans un mur sans pour autant cesser de le nourrir. Seules ensemble, les deux femmes inventent une manière de vivre qui ressemble de loin et par instants à une utopie (Alma loge Mina, lui permettant de se rapprocher de la prison, lui trouve un travail, et parvient à inscrire les enfants de Mina à l’école de quartier). Huppert et Herzi incarnent chacune merveilleusement ce paradoxe entre la transparence et l’opacité, l’utilitarisme assumé et la possibilité toujours douteuse du sentiment. Par le gouffre, c’est finalement le récit des liens tordus qui forment une société qui émerge, des liens étrangers à la vertu, mais pas à la beauté. Alma et Mina s’utilisent l’une l’autre. C’est le besoin et non l’envie qui fonde leur relation. Vu de face, le constat est amer. Mais de biais, des nuances s’y ajoutent. N’est-il pas réjouissant de voir que c’est la contrainte qui produit la rencontre, lorsque les liens subis sont par moments transfigurés ? Enchaînées par leurs racines à un lieu (social) qu’elles n’ont pas choisi, deux femmes cherchent la lumière, et parce qu’elle est rare, elles étendent d’autant plus loin leurs branchages.

Les Cahiers du Cinéma – Olivia Cooper-Hadjian