SORRY, BABY
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“Sorry, Baby”, d’Eva Victor : un très beau film de femme sur le trauma du viol
Une jeune Américaine partage avec sa meilleure amie le secret du viol qu’elle a subi pendant ses études. Le premier film d’une réalisatrice-actrice qui a tout à la fois de l’humour et une très belle sensibilité.
Cette Américaine de 31 ans s’était fait connaître en signant des petites vidéos drolatiques diffusées sur les réseaux sociaux, et la voici, cette année, sous les projecteurs du festival de Sundance et de la Quinzaine des cinéastes pour son premier long métrage, en tant qu’autrice, actrice et réalisatrice célébrée. Eva Victor s’affirme. C’est justement ce qu’a le plus grand mal à faire la jeune femme repliée sur elle-même qu’elle joue dans Sorry, Baby. Doctorante en littérature dans une université du Massachusetts, Agnès a vu sa meilleure amie, Lydie, vivre sa vie, partir à New York, rencontrer l’amour et, maintenant, tomber enceinte. « Ton corps est un miracle ! » s’émerveille Agnès. Le sien est meurtri, figé dans le traumatisme du viol subi quatre ans plus tôt, dans la maison du directeur de thèse qui faisait l’apologie de son travail.
Eva Victor ne cache pas avoir trouvé l’inspiration dans une épreuve semblable, intimement vécue. À la confession, elle préfère cependant une écriture romanesque et le plaisir de faire vivre à l’écran ces deux personnages d’amies dont les confidences sur canapé rappellent des moments chaleureux dans les films d’Almodóvar. Une légèreté est possible, malgré tout. Mais le traumatisme du viol n’a pas besoin d’être nommé pour être omniprésent. Les moments de cocooning avec Lydie sont une joie et aussi une réparation de la souffrance. Le refus même de dramatiser le récit reflète l’expérience d’Agnès, qui n’a pas su nommer ce qu’elle avait subi. « Il m’est arrivé un truc grave », continue-t-elle à dire. Son impuissance à vraiment s’emparer des faits passe directement dans la mise en scène d’Eva Victor. La maison du directeur de thèse, où l’on voit Agnès entrer, est filmée à distance. Puis, la fin du jour devient nuit et le plan reste fixe, longtemps. Comme un regard détaché, paralysé par le viol qui a lieu à l’intérieur.
Cette justesse impressionnante se mêle à la pudeur et à la modestie d’une cinéaste qui dit simplement avoir voulu faire ce film pour la personne qu’elle était. Sorry, Baby est un magnifique geste de consolation, de solidarité avec soi-même. À Agnès, parfois désorientée jusqu’à la crise d’angoisse à force de ne rien vouloir laisser transparaître de ce qui la hante, Eva Victor offre sa tendresse, sa compréhension. Comme Lydie lorsqu’elle pose sa main protectrice sur le genou d’Agnès, à qui une ancienne thésarde balance lors d’un dîner : « Tout est facile pour toi, tout le monde te trouve brillante et sexy. » Invisible, indicible, le viol referme sa victime sur un silence et une solitude sans partage. Il y a heureusement l’amie de toujours et le soutien qui peut venir d’un vendeur de sandwichs, d’un chat trouvé dans la rue.
La volonté de composer en chapitres aux titres spirituels une chronique qui affronte la vérité sans être sombre ni larmoyante donne à Sorry, baby une tonalité à part, légère et pourtant hypersensible. C’est particulièrement frappant dans les scènes qui montrent la relation que commence à développer Agnès avec un voisin un peu hurluberlu, Gavin. Les moments qui les réunissent sont toujours cocasses et, pourtant, le plus beau, le plus précieux y est dit : la redécouverte par Agnès du corps d’un homme et du sien, le retour à la vie.
Telerama