THE SUBSTANCE
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Manger des yeux
Avoir la dalle (sur Hollywood Blvd.)
Si l’ensemble n’est pas exempt de temps plus faibles, comme cette séquence où Elizabeth et son double se retrouvent soudain face-à-face (avec une scène d’action moins éclatante que celles de Revenge), The Substance brille particulièrement lorsqu’il met en scène la vampirisation des corps. Omniprésentes sur les lieux de tournage du morning show où Elizabeth est évincée par Sue, les caméras sont ici des seringues grâce auxquelles est extraite la substance vitale des corps, en particulier féminins. Filmer, chez Fargeat, c’est dévorer. La cinéaste se repaît avec une voracité manifeste de tout ce qui passe sous son objectif. Elle témoigne d’un réel appétit de mise en scène qui vire à la boulimie récréative, chaque partie du corps étant envisagée comme un déchet à régurgiter par l’entremise d’un montage maniériste et glouton (ralentis, flashs, effets de distorsions). Certains éléments organiques finiront d’ailleurs par tomber en miettes à la manière de déchets alimentaires, en écho à l’ouverture qui montre un sandwich tombé sur une dalle du walk of fame de Hollywood Boulevard… Oreilles arrachées, ongles incarnés, jambes cassées et autres pieds gangrénés : Fargeat ne lésine sur aucun moyen pour décomposer la silhouette de ses deux actrices.
Lorsque le personnage de Demi Moore enrage par exemple contre son alter ego en préparant une recette d’aligot et de boudin noir, un montage parallèle ramène la plastique idéale de Sue à un gros tas de viande. Des plans de gigots déchiquetés et de purée caoutchouteuse répondent à des inserts fétichisant sur les fesses, les cuisses et les jambes de Sue – Fargeat épousant, avec une délectation retorse, les règles implicites du male gaze pour faire rejaillir d’un même geste sa part malsaine et répugnante. De la même façon que dans Revenge, le style très tape‑à‑l’œil et a priori sexualisant de la cinéaste est moins l’affaire d’un désir scopique et érectile que d’une joyeuse débandade, comme lors de cette scène de twerk qui s’achève par l’extraction d’une cuisse de poulet à travers le nombril de la starlette. La suite de cette séquence, très drôle, qui promet un revisionnage du plan de twerk « image par image » par l’équipe de tournage (majoritairement masculine), s’interrompt pour cette raison : l’opportunité voyeuriste, qui se mêle ici à l’attente d’un surgissement horrifique, est désamorcée par un raccord qui tombe comme un couperet. Citant la fin d’Elephant Man puis de Carrie, l’issue de The Substance, jubilatoire voire jouissive – le terme n’est, pour une fois, pas galvaudé – s’accompagne d’ailleurs d’un jaillissement grotesque qui ressemble à une éjaculation féminine ou à une sécrétion vésicale (c’est selon). Au bout de son supplice, le monstre aura accompli sa revenge en un geste à la fois exubérant et cathartique : pisser du sang sur une rangée d’actionnaires.
Critikat par Corentin Lê